Vogue US – 22 octobre 2015 [Traduction]
Keira Knightley fait ses débuts à Broadway dans « Thérèse Raquin »
Par Adam Green
Pour Keira Knightley, l’état actuel de la relation entre la vie réelle et l’Art pourrait être décrit au mieux comme ironique : d’un côté, elle est une jeune mère (elle et son époux, James Righton, ont accueilli leur fille, Edie, en mai) se préparant à faire ses débuts à Broadway, dans « Thérèse Raquin », de la Roundabout Theatre Company ; de l’autre, elle joue une femme adultère, meurtrière et dépressive qui met fin à ses jours à la fin de la pièce. « C’est un moment absolument merveilleux et heureux dans ma vie, et voilà que je joue… ça, dit-elle en riant, affichant son célèbre sourire lumineux, plus une bénédiction qu’une simple expression faciale. C’est bizarre. J’ai accepté le rôle avant de savoir que j’étais enceinte. Et puis, la question s’est ensuite posée : ‘Oh, Seigneur, est-ce que je dois me retirer ?’ Ma mère et une autre de mes amies m’ont dit : ‘Absolument pas ! Tu es une femme qui travaille. Ta fille doit savoir qu’elle vient de cet environnement, et c’est une partie de toi-même. Tu t’en tiens à tes plans.’ Alors, j’ai fait ce qu’on me disait. »
Dans le rôle principal du personnage réprimé de la nouvelle adaptation par Helen Edmundson du roman d’Emile Zola, publié en 1867, sous la direction d’Evan Cabnet, Knightley fait toujours ce qu’on lui dit, notamment épouser son cousin narcissique et chétif, Camille (Gabriel Ebert), sur ordre de sa tante (Judith Light). Cependant, Thérèse débute rapidement une liaison torride avec l’ami de Camille, Laurent (Matt Ryan), laquelle réveille sa faim sexuelle longtemps enfouie, ainsi que sa rage, amenant les deux personnages à noyer Camille, avant de succomber à la peur, à une haine mutuelle, et à un double suicide.
Knightley, qui a prouvé avec des interprétations formidables sur la scène londonienne, dans « The Misanthrope » et « The Children’s Hour », qu’elle n’est pas une star de cinéma qui s’encanaille, s’est vu offrir la chance de jouer Thérèse dans deux précédentes productions, et les a refusées parce que, dit-elle, « ça me faisait peur : le mélodrame est un p*tain de traitre, et je crois que je ne le comprenais simplement pas. » Mais elle est tombée amoureuse de la musicalité presque stylisée des dialogues d’Edmundson, ainsi que de la chance d’explorer les effets produits par le fait d’accomplir son devoir tout en ravalant ses sentiments (« un mélange terrible pour la tragédie et le désastre, en fait »), et de voir ce qu’il advient d’une femme poussée par le désespoir à se comporter comme un animal en cage.
« En tant qu’actrice, elle est tellement courageuse, téméraire, précise et rigoureuse, des qualités fondamentales pour être capable de s’attaquer à un rôle de cette ampleur, de cette sévérité et de cette complexité, explique Cabnet, qui a récemment mis en scène la sensationnelle pièce ‘Gloria’. Keira a fait de Thérèse un personnage tellement profond, complexe, aux multiples facettes, qu’on a vraiment de la peine pour elle, peut-être même dans des moments sombres de l’histoire. C’est une composition de magie émotionnelle. »
« J’ai l’opportunité d’habiter ce monde claustrophobe et de sonder les profondeurs de la misère et de la dépravation humaines, raconte Knightley. Et ensuite, j’émerge, et la petite fille la plus adorable au monde m’attend ; je rentre à la maison et elle me dit : ‘Bah !’. Je ne pourrais pas en demander davantage. »
Il se peut que Knightley ait atteint un moment paisible dans sa vie, mais cela ne signifie pas que ça ne puisse pas façonner son Art. « Le manque de sommeil et les hormones sont quelque chose de tout à fait intéressant, en ce qui concerne le psychisme féminine, admet-elle. Et je ne peux pas prétendre ne pas avoir usé d’un peu de ce sentiment perturbé pour comprendre ce que ressent Thérèse. Un bébé qui fait ses dents, a des coliques, vous tient éveillée toute la nuit pour la cinquième nuit consécutive… Tout ça, c’est de la matière [à utiliser]. »
Traduction © Admiring Keira Knightley. Reproduction interdite.