Harper’s Bazaar UK – juillet 2021 [Traduction]
Keira Knightley : retour aux sources
Par Lydia Slater / 8 juin 2021
Être éloignée des feux des projecteurs durant la pandémie a enseigné à Keira Knightley à revoir ses priorités. Photographiée dans la splendeur de la Wilderness Reserve du Suffolk, elle raconte à Lydia Slater comment elle a appris à connaître sa communauté locale, comment elle a rafraîchi ses connaissances en matière de littérature féministe, et comment elle a sauté sur le trampoline de ses enfants en étant couverte de CHANEL de la tête aux pieds.
Partir en balade avec Keira Knightley, c’est une expérience révélatrice, un peu comme un bain de foule avec la Reine. Lorsque nous nous rencontrons, il n’est toujours pas permis de se rassembler en intérieur, notre entretien se conduit donc au détour des rues du quartier au Nord de Londres dans lequel nous vivons toutes les deux. Tandis que nous les dépassons, les gens la saluent, et lorsque nous nous arrêtons pour prendre un café à emporter, le serveur lui tend son café préféré sans qu’elle ne l’ait demandé. Être mondialement connue n’a pas l’air si mal, lui dis-je. Knightley semble surprise.
« Oh, je les connais tous, explique-t-elle, faisant un signe de la main à un autre passant. Ça, c’est Chris, mon adorable voisin… » Je vis dans cette zone depuis des décennies de plus qu’elle, mais je dois encore spécifier comment je préfère mon cappuccino, pensé-je. Cela doit être parce qu’elle est exceptionnellement amicale, et que même sobrement vêtue d’un jean noir, de boots Dr. Martens, d’un bonnet et d’un masque, elle reste spectaculairement belle.
Cet entretien, comme tellement d’autres choses de cette année écoulée, a été repoussé à plusieurs reprises. Nous devions initialement nous rencontrer en 2020 afin de parler de son nouveau film, « Silent Night », dont la sortie a depuis été déplacée à ce Noël. Aujourd’hui, c’est son rôle d’ambassadrice de Coco Mademoiselle de CHANEL qui figure en tête de son agenda, avec le lancement de Collection Été en édition limitée, et la campagne qui l’accompagne, la montrant, sublime, vêtue de blanc diaphane et de perles.
Knightley est le visage des campagnes publicitaires depuis 2007, alors qu’elle avait une vingtaine d’années et qu’elle jouait dans la franchise de blockbusters « Pirates des Caraïbes ». On l’a mise dans un avion à Los Angeles, direction Paris, afin de rencontrer Karl Lagerfeld, et elle se souvient principalement de son impression de décalage horaire, à l’époque. « J’étais probablement trop jeune pour avoir peur de lui, et je ne m’y connaissais pas assez en matière de mode, se souvient-elle en riant. Je séjournais au Ritz, et lorsque j’ai ouvert l’armoire, j’y ai trouvé tous ces vêtements CHANEL. J’ai simplement pensé que la chambre n’avait pas été débarrassée, alors j’ai appelé la réception pour les informer que quelqu’un avait laissé ses vêtements en partant, et ils ont expliqué qu’ils m’étaient destinés pendant la durée de mon séjour. Mais que je ne pourrai pas les garder, soupire-t-elle. On se sent toujours comme Cendrillon [dans ces moments là]. »
Désormais, Knightley possède bien des choses estampillées CHANEL, mais moins d’opportunités de les porter. « Je suis impatiente de porter à nouveau de beaux vêtements », dit-elle. Durant les premiers jours du premier confinement, elle a décidé de remonter le moral de la famille en se mettant sur son trente-et-un chaque jour. « Nous avons un trampoline dans notre jardin, et nous avons décidé qu’on ne pouvait l’utiliser qu’en étant vêtu d’une robe. Je mettais du rouge à lèvres rouge chaque jour, et le moindre de mes vêtements CHANEL que je possède dans mon placard, et ma fille Edie portait des rubans CHANEL tressés dans ses cheveux et des ailes de fée. » L’époux de Knightley, James Righton, ancien joueur de synthé de Klaxons, n’était autorisé à les rejoindre et à sauter que s’il portait l’un des « costumes Gucci de sa collection aux couleurs des plumes d’un paon ».
« Je me suis dit : ‘Quel est l’intérêt de ces jolies choses qui dorment dans l’armoire, alors que le monde extérieur semble apocalyptique et terrifiant ?’ Cela semblait tellement important d’être réellement heureux pour les enfants ! Alors, c’est ce qu’on faisait, et on oubliait [tout]. Et ensuite arrivaient les courses, et on devait tout essuyer avant de tout ranger, vous vous souvenez ? Ça a atteint son paroxysme quand j’ai vu des pommes bizarres de couleur marron, et mon mari m’a expliqué qu’il les avait fait bouillir, parce que les gens les avaient peut-être touchées. J’ai répondu : ‘D’accord, mais maintenant, on ne peut plus les manger !' » Elle commence à rire sans pouvoir s’arrêter. « C’était vraiment une période étrange : nous, habillés de vêtements de couleur très vive, faisant bouillir des pommes ! »
Knightley prend soin de souligner qu’elle est bien consciente de sa chance. « Lorsque vous vous retrouvez dans une telle situation, et que vous savez qu’il n’y a rien que vous puissiez faire d’autre que de rester chez vous, vous prenez conscience de la frivolité de votre propre existence, et de l’admiration totale pour les infirmières. Comment pouvez-vous n’augmenter leur salaire que d’un pour cent ? lance-t-elle. C’est une question féministe ! » Malgré tout, comme tout le monde, elle a connu « des émotions en dents de scie » au cours de ces derniers mois.
Le couple a perdu des amis à cause de la Covid-19, et Knightley a dû jongler entre faire l’école à domicile à Edie et s’occuper d’un tout-petit, Delilah. Il semble également que la nourriture ait été source de tensions domestiques au cours de l’année écoulée. Righton, explique son épouse, est « assez extrême, légèrement [atteint] de troubles obsessionnels compulsifs – ce qui fait de lui un très bon cuisinier. » Après avoir lu tout un tas de livres sur l’écologie lors du premier confinement, il a décidé que toute la famille ne devait manger que des légumes provenant de fermes régénératives lors du second. « Mais je ne suis pas une grande fan de légumes-racines, et dans ces boîtes régénératives que nous recevions – ça sonne tellement classe moyenne, c’est insupportable – il y avaient quatre céleris. Et je déteste le céleri ! Je ne pensais pas avoir une opinion aussi tranchée concernant un légume… » Lorsque Righton a proposé d’en préparer rapidement pour le dîner, en lieu et place d’un repas à emporter tant désiré, elle a perdu son calme et l’a jeté sur le sol de la cuisine – « ça a fait un grand bruit sourd ». La semaine de notre rencontre, elle admet avoir eu une autre crise à l’idée de passer un second anniversaire en confinement. « J’ai fini par avoir l’air d’une enfant de cinq ans, disant : ‘Mais je veux voir mes amis’. Et ma fille, qui a justement cinq ans, m’a fait un gros câlin… »
Elle envisage donc avec une grande impatience la réouverture du monde, et notamment parce qu’elle pourra reprendre sa carrière. « Ça fait un an que je n’ai pas travaillé, dit-elle, tandis que nous nous asseyons, café en main, sur un banc devant l’école locale. Je venais de terminer le tournage de ‘Silent Night’ à Londres, le mercredi, et nous avons été confinés le vendredi. » C’est également le jour où « Misbehaviour », un drame racontant l’histoire des femmes activistes qui ont interrompu le concours de Miss Monde 1970, devait sortir sur les écrans. « J’ai vu mon visage sur une affiche du film, et j’ai pensé : ‘Oh, Seigneur, ça a failli arriver…’ Et puis, je devais tourner dans une série, en septembre, pendant quatre ou cinq mois, mais je ne pouvais pas concilier ça avec les confinements et la garde de mes enfants. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir prendre cette décision, sur le plan financier, donc ça semblait être mon choix, mais c’était un choix merdique. »
Désormais, cependant, elle est en pleine recherche pour un nouveau projet adapté du roman de science fiction à succès La Justice de l’ancillaire (Ancillary Justice), d’Ann Leckie, dont le tournage doit débuter plus tard cette année, si tant est que la pandémie le permette. « C’est une histoire sur le pouvoir. Les questions que pose mon personnage sont : ‘Quel est le but de la conquête ? Quelles sont les motivations qui amènent au pouvoir ?’ Je lis donc beaucoup de livres sur les dictateurs, et je rêve beaucoup de domination intergalactique pendant que je fais la lessive ou que je change les couches de mon bébé… » Elle est aussi actuellement passionnée par les livres audios de la série Boudica , de Manda Scott, qu’elle a trouvée particulièrement réconfortante au lendemain de la mort de Sarah Everard et des sombres révélations de misogynie et de crimes sexuels au sein de l’école portées au jour sur le forum de Everyone’s Invited. « Quelque chose de très païen et de puissamment féminin est agréable à écouter, en ce moment », dit-elle.
C’est sa mère, la dramaturge Sharman MacDonald, auteure de « When I Was a Girl, I Used to Scream and Shout », qui a élevé Knightley pour qu’elle devienne féministe. Son intérêt, explique-t-elle, « a largement été influencé par le fait que j’étais une enfant très sportive, mais devenir footballeuse n’était pas une option pour moi, alors que – dans leur tête -, pour tous les garçons, ça l’était. Ça m’a beaucoup frappé, dès mon plus jeune âge. » Tout au long de sa carrière, les personnages qu’elle a interprétés ont été visiblement forts et indépendants ; du rôle qui l’a révélée, celui, proche d’elle, d’une ado passionnée de foot dans « Joue-là comme Beckham », en 2002, à une inoubliable Lizzy Bennet dans l’adaptation de Joe Wright d’Orgueil et préjugés, en 2005, à l’auteure française iconoclaste Colette, en 2018, à une lanceuse d’alerte dans « Official Secrets », et plus récemment, à celui de l’activiste Sally Alexander dans « Misbehaviour ».
Malgré tout, elle se demande tout haut pourquoi il ne lui a jamais traversé l’esprit jusqu’à présent de dénoncer la misogynie dont elle a personnellement fait l’expérience. « C’est lorsque les femmes ont commencé à faire la liste de toutes les précautions qu’elles prennent quand elle rentrent chez elles afin de s’assurer qu’elles soient en sécurité, que j’ai pensé : ‘Je fais chacune de ces choses-là, et je n’y pense même pas.’ C’est tellement déprimant, soupire-t-elle. Je crois que c’est la raison pour laquelle j’aime écouter Boudica. »
Avec un timing impeccable, une homme seul déambule dans la rue dans notre direction et se met à lui crier : « Tu fréquentes cette école ? Tu as l’air vraiment jeune ! » « Merci », répond-t-elle poliment, tandis que nous partons précipitamment afin de trouver refuge dans un parc à proximité, où il nous suit, quelques minutes plus tard. « Je trouve ça plutôt intéressant de discuter du sujet pendant que nous sommes pourchassées, observe-t-elle avec philosophie. J’adore ce politique qui a dit qu’il devrait y avoir un couvre-feu pour les hommes, et les hommes en ont été outrés, et on se dit : ‘Mais il existe un couvre-feu pour les femmes, et ce depuis toujours.' » A-t-elle elle-même été victime de harcèlement ? « Oui ! Enfin, comme tout le monde. Je ne connais littéralement personne qui ne l’a pas été, d’une manière ou d’une autre ; que quelqu’un se soit exposé devant elles, ou qu’on les ai tripotées, ou qu’un gars leur ait dit qu’il allait leur trancher la gorge, ou les frapper au visage, ou quoi que ce soir d’autre ; c’est arrivé à tout le monde. »
Sans surprise, elle raconte que porter un masque au cours de l’année écoulée a été une expérience assez libératrice. Et, étant donné que la plupart d’entre nous ressent un petit frisson à l’idée de reprendre une vie normale, à quel point est-ce difficile de revenir sous le feux des projecteurs, devant les médias de la planète ? « Le maquillage est une armure », dit-elle. Elle aime assez s’habiller et se pomponner, « mais mon époux et ma fille aînée n’aiment pas du tout ça. Mon mari dit : ‘Oh, tu t’es transformée en elle.’ Ils ne voient pas ça comme étant moi-même – et moi non plus. C’est quelque chose d’autre, comme un personnage. » Un personnage sympathique ? « Pas particulièrement. Non, elle ne peut pas l’être. Elle doit être assez féroce. C’est une armure, et je crois que c’est ainsi que ça doit être. »
Quelques jours plus tard, je reviens des courses avec ma fille, mon chien et une brassée de linge du pressing, lorsque je croise Knightley et Righton. Elle porte un masque, et elle a l’air… assez féroce. Mais lorsque nos yeux se rencontrent, à travers la rue, elle sourit et me lance un salut, et je me dis : « Pas étonnant que tout le monde dans le quartier soit son ami ».
Keira Knightley est une ambassadrice de CHANEL Beauty. L’édition de juillet de Harper’s Bazaar est disponible à la vente dès le 9 juin.
Traduction © Admiring Keira Knightley. Reproduction interdite.